Il voulait une révolution, etc. Partie 2
Extrait des répétitions de Nos Nuits Ardentes (roman), Chapitre 1 page 2 :
"The Beatles - In My Life
J’ai eu plusieurs vies et bien sûr, je dois avouer que certaines ont été plus réussies que d’autres. Le seul problème est d’arriver à déterminer ce qu’est la " réussite ". Je suis né Raben Umebayashi à Bénarès, en Inde. C’est ainsi qu’on m’a baptisé dans les eaux brunes du Gange à l’âge tardif de 16 ans, ces seize années de retard étant du à ma condition physiques incitant les médecins, que mes parents, petits bourgeois, pouvaient payer, à me tenir le plus possible écarté de la fange que charrie ces eaux et leurs rives. Avant ce jour où mon nez s’est bouché et où mes yeux se sont mis à me brûler comme jamais ils n’avaient brûlé, même face à face avec le soleil, j’ai passé 16 ans à n’être personne d’autre que le petit garçon de la chambre 27 de l’hôpital de Bénarès. A chaque fois que je retournais dans cet hôpital, au moins une fois par mois pour les tests, et plus longtemps dès que j’entrais en crise j’étais condamné à cette même chambre : partager mes nuits avec les vieillards malades, les lépreux mourants, tous ceux qui défilaient, de vie à trépas, pendant que moi je restais là. Encore là ? Toujours là ! C’était notre façon de rire avec les quelques infirmières qui s’occupaient de la quasi-totalité des patients. J’étais allergique à quelque chose. Ça me coupait la respiration, me provoquait des nausées, mes jambes s’effondraient sous mon poids. Ils n’ont jamais su d’où ça venait, bien qu’ils trouvèrent un traitement approprié qui me permis de vivre. A l’âge de 16, ils déclarèrent que je n’étais plus malade. Allergie infantile, c’étaient la façon qu’ils avaient décidé d’appeler cette période de ma vie. Au fond de moi je savais bien d’où venait mon allergie : c’était la ville, Bénarès et son air noir, ses rues sombres et les gens qui les peuplent. J’aurai voulu que mon baptême fut mon au revoir à la ville, un dernier plongeon en son cœur avant de m’échapper loin, très loin. Immergé, je n’avais pour offrande à la ville qu’un chapelet d’insulte. Malheureusement, j’appris à mes dépends ce que tout le monde là-bas, moins butés que moi, savaient : la ville entend tout ce que l’on adresse en son sein, et son amour-propre est aussi rouge et saignant que sa vengeance. Mes parents et mon petit frère sont morts l’année de mes 18 ans, écrasés par un bus de touristes dans les rues de terre et de sable de Bénarès. Pour les standards de l’Inde, ma famille était plutôt aisée et je dus patienter plus de six mois à entendre, jusqu’au fond de mon lit, les rires de Bénarès, avant de pouvoir empocher mon héritage. Quand le chèque arriva, mes bagages étaient prêts, la maison vidée depuis longtemps, vendue même, et je dormais dans la baignoire toutes les nuits. Le jour même, je partis. En train jusqu’à Calcutta. Puis en avion jusqu’à la ville de Pleyel. Je l’avais choisie parmi les destinations européennes que desservait l’aéroport, non par goût particulier, mais parce que c’était l’avion qui quittait le plus tôt le sol indien. Je ne me retournais pas sur l’Inde à travers les hublots, mes adieux étaient fait depuis bien longtemps, là-bas, ils polluaient un peu plus l’eau du Gange. "